Communiqué de presse

 

Patchwork in progress 3

 

Vernissage le 30 juin 1998 à 18h

Exposition du 1er juillet au 23 décembre 1998

 

La Nuit, l'oubli (en souvenir de Gilles Dusein)

Martine Aballéa, Art in Ruines, jennifer Bolande, Jean-Christophe Bourcart, Marie Boget, Angela Bulloch, james Lee Byars, Larry Clark, Gilles Dusein, Sylvie Fleury, Nan Goldin, Dominique Gonzalez-Foerster, Gotscho, Michel Journiac, Pierre Keller, Karen Kilimnik, Mike Lash, Charles Ledray, Zoe Leonard, Simon Linke, David Mc Dermott & Peter Mc Gough, Lisa Milroy, Pierre Molinier, Hirsch Perlman, Claude Rutault, Julia Scher, Seton Smith et Brain Weill

Camera candida, 1er étage

(jusqu'au 4 octobre)

 

   

 

Jean Dupuy, On ne se perd pas de vue

Allée Marika Malacorda et Events Corner (2e étage)

jusqu'au 23 décembre  

 

Wim Delvoye, Paper Aeroplanes
La Chambre (2e étage)

jusqu'au 27 septembre

 

Helmut Dorner, Polyptyques

Cabinet des Abstraits (1er étage)

jusqu'au 4 octobre

 

Gotscho, La Nuit, l'oubli

The Last Store (2e étage)

jusqu'au 11 octobre

 

 

Pierre Keller, Recorded Earlier

Tombeau de l'auteur (1er étage)

jusqu'au 4 octobre  

 

Julije Knifer, Peinture murale

Vestibule, 1er étage

jusqu'au 4 octobre  

Kane Kwei, Sculptures

(en collaboration avec la C.A.A.C., The Pigozzi Collection, Genève)

Büro Kippenberger (2e étage)

jusqu'au 11 octobre

 

Robert Morris, Open-center-Sculptures & Crucibles

(en collaboration avec la Galerie Pietro Sparta, Chagny, France)

Plateau des Sculptures et Service Poésie et principes, 3e étage

jusqu'au 23 décembre

 

Alexandre Périgot, Partie Gratuite

Espace commun du Bac, rez-de-chaussée

jusqu'au 19 juillet

 

Stephen Prina, Monochrome Painting 1989

2 ou 3 chses que je sais d'elle (incidente 5)

Suite genevoise, 1er étage

jusqu'au 4 octobre  

 

2 ou 3 choses que je sais d'elle (première enquête) - L'Hypothèse du tableau volé

 

La Nuit, l'oubli (en souvenir de Gilles Dusein)  

 

et toujours :

2 ou 3 choses que je sais d'elle (première enquête) - L'Hypothèse du tableau volé

  Avec L'Hypothèse du tableau volé débute un cycle d'expositions qui devrait se poursuivre jusqu'en 2000. Intitulé 2 ou 3 choses que je sais d'elle, ce cycle vise en une douzaine de présentations, monographiques ou collectives, à offrir un balayage des propositions de la peinture dans les années 90. Son ambition est de tenter d'en produire une histoire parallèle, conçue comme une suite d'essais, de coup de sondes dans l'épaisseur d'une matière dont les limites sont encore en grande partie indistinctes et les enjeux peu différenciés.

  Le premier volet de ce cycle n'a pas pour but de présenter un bilan exhaustif ni d'arriver à une résolution dialectique des problèmes qu'il aborde. Il vise à rendre visible une situation critique - celle qui résulte de la mise entre parenthèses du tableau en tant qu'objet déterminant de la pratique picturale. Ce retrait, ou cette disparition, a eu pour conséquence de laisser une scène vacante où se confrontent des travaux qui ont pourtant souvent pour caractéristique de se référer au tableau, tantôt littéralement comme à un énoncé préliminaire, tantôt métaphoriquement comme à une présence spectrale, une sorte de fantôme qui aurait laissé des traces irréductibles et obsédantes. L'Hypothèse du tableau volé explore différents niveaux de cette situation. Mais pour la formaliser, l'accent a été mis sur la tension qui naît du parallèle entre des pratiques picturales qui s'écartent des données spécifiques du tableau en se projetant dans l'environnement, dans l'espace d'exposition, et des pratiques photographiques qui viennent au contraire frayer avec ces données ou qui tentent de se les approprier, parfois avec l'intention non dissimulée de brouiller les frontières entre les deux médiums, voire de jouer sur le malentendu. L'objectif de l'exposition sera pleinement atteint si les différents ressorts de cette tension permettent de faire sentir la complexité d'une situation coïncidant avec la rupture d'un modèle formaliste dont la finalité était précisément d'établir le champ de compétence exclusif de chaque pratique artistique.

  Concrètement, L'Hypothèse du tableau volé s'articule en trois strates : une "mise en peinture" générale des Galeries du Belvédère (4e étage) par Daniel Walravens, quatre interventions en situation par Cécile Bart, Adrian Schiess, Felice Varini et Michel Verjux, et un ensemble d'incrustations d'œuvres de Noël Dolla, Raymond Hains, Joachim Mogarra, Harald F. Müller, Maurizio Nannucci, Platino, Stephen Prina, Allen Ruppersberg, Hiroshi Sugimoto, Bernar Venet et James Welling proposées par Christian Bernard.

 À son terme, l'expérience parcourue avec 2 ou 3 choses que je sais d'elle sera récapitulée dans un livre où la documentation photographique des expositions (œuvres et accrochages) sera confrontée à un ensemble d'essais thématiques ou monographiques, inédits ou non, qui feront le point sur la question.

  N.B. L'argument critique propre à L'Hypothèse du tableau volé trouve également son sens et sa pertinence dans la confrontation avec les situations d'accrochage du musée où figurent d'autres pièces des mêmes artistes. C'est le cas pour Harald F. Müller, Maurizio Nannucci, Felice Varini, Bernar Venet, Michel Verjux et James Welling, proposées par Christian Bernard.

  L'Hypothèse du tableau volé bénéficie du soutien de Peintures Jallut, "Jalcolor", Genève.
(Galeries du belvédère, 4e étage)
jusqu'au 30 septembre 1998

  La Fondation Mamco remercie pour leur soutien l'ensemble de ses partenaires publics et privés et en particulier Caran d'Ache, Cartier, Ernst Göhner Stiftung, Fiat Auto (Suisse), Fondation Valeria Rossi di Montelera,Genevoise Assurances, Groupement des Banquiers Privés Genevois, Hôtel du Rhône, MM. Jacquet & Cie, Manor, Nationale Suisse Assurance, Piaget, Pommery, Sotheby's, Union Bancaire Privée, la Ville et le Canton de Genève ainsi que les prêteurs.

 

La Nuit, l'oubli (en souvenir de Gilles Dusein)

Gilles Dusein est mort du sida, en 1993, à l'âge de trente-quatre ans. Collectionneur, galeriste, danseur aux Folies-Bergère, puis au Lido, amateur de photographies devenu expert à force d'intérêt personnel, Dusein a réussi à cristalliser dans la figure qu'il laisse à la postérité beaucoup de traits qui témoignent du meilleur de ce que les années quatre-vingt ont produit : un mélange de liberté et d'engagement, de passion et de légèreté, de goût pour l'exploration des limites et de jeu avec les convenances, de travestissement et de réflexion identitaire. Tous ces traits, qu'ils soient pris indépendamment ou simultanément, ont compté dans les choix que Dusein a effectués au cours de sa brève carrière dans le milieu artistique – qu'il s'agisse de sa rencontre avec le travail de Pierre Molinier, dont il s'occupe de la succession en 1987 et dont il a dit qu'il a été décisif pour sa perception de la photographie, ou de la manière dont il a conçu son activité de galeriste. Rompant avec les pratiques individualistes du milieu, il s'efforce alors de créer des synergies – soit pour ne pas se voir dicter un “rythme d'expositions trop rapide”, comme lorsqu'il décide d'inaugurer son premier espace en 1987 en partageant l'espace de la galerie Donguy – soit pour collaborer avec des collègues afin de mieux diffuser le travail d'artistes encore peu connus en France, comme il l'a fait pour Thomas Struth avec la galerie de Giovanna Minelli, ou pour Sylvie Fleury avec la galerie Gilbert-Brownstone. De fait, toute l'activité qu'il a développée à l'enseigne de Urbi & Orbi est nomade. Passant d'un espace d'exposition à l'autre au gré des circonstances et des nécessités, elle surfe aussi sur les territoires de l'art. Sa collection en est aujourd'hui le reflet : elle n'hésite pas, par exemple, à faire se croiser les signes de la subjectivité gay (Zoe Leonard) et les fétiches luxueux du néo-pop (Sylvie Fleury), à recueillir les dérives d'une sexualité post-moderne en quête de sa non-définition (Larry Clark, Nan Goldin) et les investigations obsessionnelles d'une identité en crise (Michel Journiac), à couvrir les nouvelles conquêtes de la critique institutionelle (Hirsch Perlman, Julia Scher) et les poses désabusées d'un dandysme victorien XXe siècle (David Mc Dermott & Peter Mc Gough), à dévoiler la magie blanche des attitudes (James Lee Byars) comme les démons du désir (Pierre Keller), ou à cerner les phantasmes de la convivialité électronique (Angela Bulloch), les concepts les plus radicaux du post-formalisme (Claude Rutault) et les cauchemars d'un corps en mutation (Charles Ledray). Si on ajoute à cet éventail la photographie de la manifestation d'Act-up comme un témoignage de ce que fut une de ses réactions possibles à la maladie, il faut admettre qu'il y a là plus que le portrait en creux d'un collectionneur, mais l'expression d'une sensibilité consciente de la manière dont elle s'inscrivait dans l'histoire de son temps.

Gilles Dusein, né en 1959, est décédé à Paris en 1993.
Camera candida (1 er étage), jusqu'au 4 octobre

Jean Dupuy, On ne se perd pas de vue

Peut-on dire de Jean Dupuy qu'il aurait pu être un membre de l'OuLiPo qui aurait mal tourné ? Ou un fils indigne de Marcel Duchamp ? Les anagrammes auxquels il travaille sans relâche depuis 1978 pourraient bien s'apparenter à cette postérité de la pataphysique où se sont inscrits tant le Duchamp d'Optique de précision (1922) que le groupe qui s'est rassemblé autour de Raymond Queneau en 1960, pour former l'Ouvroir de Littérature Potentielle avec le dessein de faire se conjuguer contraintes poétiques et humour décapant.

Mais cette lignée ne rendrait compte que très approximativement du parcours de Jean Dupuy dans l'art contemporain. Sa véritable carrière débute en 1967, quand il décide simultanément de mettre fin à un travail de peinture qu'il jugeait dans l'impasse, et de s'établir à New York. Là, il est sélectionné par Billy Klüver, un ingénieur de chez Bell Co, et Robert Rauschenberg pour participer à E.A.T. (Experiments in Art and Technology). C'est ainsi que naît Heart Beats Dust – une machine qui permet aux battements de coeur du spectateur de créer une sculpture immatérielle faite de pigments colorés rouges doucement projetés dans l'air. Cette esthétique de la participation va en fait se développer pleinement à partir de 1972, lorsque prennent fin ses relations avec la galerie Sonnabend. L'année suivante, il met sur pied dans son loft un show collectif auquel prendront part notamment Claes Oldenburg, Larry Rivers, Tony Smith, Nam June Paik... Selon Dupuy, “ce fut, en effet, une première à New York, une des premières fois que des artistes exposaient en-dehors d'un lieu professionnel, on échappait à l'establishment, musées, galeries, collectionneurs – pas de commerce, pas de peintures, des choses, des objets faits sur place et à propos de la place, de l'éphémère”. Dans cette manifestation annuelle qui se répétera trois fois, la performance joue un rôle central, et elle devient aussi le mode artistique privilégié autour duquel s'organise l'activité de Dupuy jusqu'en 1979, que ce soit en tant qu'organisateur ou en tant qu'artiste. Ainsi, en 1973, il est invité à présenter à The Kitchen, un espace indépendant new yorkais, une performance, Soup & Tart, à laquelle il convie quarante autres participants (parmi lesquels, Nam June Paik, Charlemagne Palestine, Phil Glass, Yvonne Rainer, Richard Serra, Alan Saret). Durant cette période, il fait également la connaissance de George Maciunas, l'instigateur et le principal animateur de Fluxus, avec qui il se lie d'amitié. Dupuy participe alors à certaines manifestations Fluxus dont il peut être considéré comme un compagnon de route (volontairement) périphérique, à l'instar de Robert Filliou qui fut aussi son ami. Cette affinité se retrouve d'ailleurs dans leurs travaux : chez l'un comme chez l'autre, le langage, l'écriture, des matériaux simples, l'objet trouvé, le bricolage, le ludique constituent les fondements d'une réflexion qui vise essentiellement à permettre au spectateur d'entrer en contact aussi immédiat que possible avec une conception de l'œuvre qui s'attache à confondre l'art et la vie. Avec cette différence toutefois que Dupuy insiste plus sur le dispositif auquel est soumise l'expérience de la perception que sur la finalité politique ou spirituelle de cette fusion art-vie. La physique amusante qu'il met en œuvre dans de nombreux dispositifs semble tout à la fois conçue pour élargir notre expérience du monde et pour souligner avec une ironie légère l'absurde ou le factice des conventions qui règlent ce rapport au monde. Quant à l'autobiographique qui joue (comme chez Filliou) un rôle fondamental dans le contact que l'artiste crée avec le spectateur avec l'intention de déconstruire les catégories esthétiques et de les identifier au vécu, il est problématisé de plusieurs manières : bien que manuscrit, le récit autobiographique est presque toujours mis à distance par l'anagramme qui fait proliférer les énoncés à la manière d'une machine; il l'est aussi par le système des couleurs qui est en fait co-extensif à la dérive anagrammatique. Enfin, Dupuy introduit également dans ses textes des figures hétéronymes – Léon le Bègue (Leo the Stutterer) et Ypudu anagrammiste – qui déplacent l'énonciation et instaurent des reflets comme pour renvoyer à la complexité du sujet parlant et à l'abîme sans fond du langage.

Sans prétendre à une dimension rétrospective, les deux pièces que présente le Mamco permettent de cerner les principaux enjeux du travail de Dupuy. La première – Lazy Susan  (1979-1984) – fait référence à son activité de performer. Il s'agit en effet d'une construction que Dupuy a conçue pour signifier qu'il mettait fin à cette activité. Elle reprend le dispositif giratoire que Dupuy avait utilisé pour sa première performance en 1974, le fixe, pour signifier cette volonté d'arrêter, et le suspend entre deux échelles à la manière d'un monument dérisoire. Dérisoire mais réticent, car comme le remarque Dupuy en reprenant au passage les mots de Galilée : “et pourtant elle tourne, puisqu'elle suit, paresseusement, la rotation de la terre”. La seconde pièce est une installation qui a déjà été montrée à Nice sous une forme différente. Elle rassemble dans un dispositif à géométrie variable une quarantaine de pièces qui mettent en jeu des aspects différents de l'œuvre de Jean Dupuy. Inutile de dire qu'elle instaure aussi différents types d'interaction où l'humour, l'absurde et la reconquête du monde par des voies de traverse ont une part essentielle.

Jean Dupuy est né en 1925 à Moulins. Il vit et travaille à Pierrefeu.
En collaboration avec La Station, Nice.
Allée Marika Malacorda et Events Corner (2 e étage), jusqu'au 23 décembre

 

Wim Delvoye, Paper Aeroplanes, 1998

  Avec Paper Aeroplanes, Wim Delvoye réalise sa première vidéo. Il s'agit d'une fiction qui montre un homme politique en train de proférer un discours devant une foule de partisans qui applaudissent à tout rompre. Tout concourt à la situation – la grandeur du décor, la rhétorique du geste, les inflexions de la voix... –  tout sauf le contenu du discours, qui parle de la confection des avions en papier, des difficultés à bien les fabriquer, de la détente qu'ils procurent. Quoiqu'à bien y regarder, le discours soit lui aussi, en dernière instance, de l'ordre de la promesse, donc d'une certaine manière du politique : même dans ce registre dérisoire, le leader adulé assure ses fans qu'il a trouvé une meilleure recette (“But I have developed what I think are good fliers, using square paper”).

Ce genre de collage ou de montage est certainement ce qui caractérise le mieux l'œuvre de Wim Delvoye. Depuis 1989, avec les cartes géographiques fictives, les buts de handball en vitrail, les étrons reproduits sur des dalles, les tuyaux d'égouts juchés sur des supports de céramique de style baroque flamand, les bonbonnes de gaz ornées de motifs inspirés par la porcelaine de Delft, les planches à repasser blasonnées, les cochons tatoués et les incrustations photographiques où des pans de rochers sont assortis d'inscriptions qui n'ont rien d'héroïque ni de monumental (“Susan, out for a pizza, back in five minutes, George”), Delvoye a constitué un ensemble de pièces qui démontrent que toutes les conventions, esthétiques et sociales, sont réversibles. Que le registre de significations dont il se sert pour atteindre cet objectif tienne presque invariablement de l'ornemental, du trivial, de la culture populaire, de ce qu'il est convenu d'identifier sous le terme de “kitsch”, voire du scatologique, n'est certainement pas un hasard. Pour Delvoye, les tensions sous-jacentes à ce mélange détonant, ironique ou sarcastique, sont un moyen de créer ce qu'il appelle une “icône” – soit une “image”, qui “puisse survivre et être compréhensible à tous les échelons de la société”. Que pour parvenir à ce stade de l'icône, Delvoye soit conduit à frayer avec une esthétique de la marchandise n'est pas un problème : pour lui, “un phénomène culturel qui n'a pas de valeur marchande est ignoré ou n'est apprécié que dans certains cercles marginaux”. Mais reconnaître que “la culture aujourd'hui n'échappe pas au marché” ne relève pas d'une stratégie opportuniste. C'est simplement la condition nécessaire d'une lutte contre une esthétique moderniste élitiste qui s'est figée dans l'abstraction et dans le refus de la communication, sans arriver pour autant à échapper au marché; et surtout la condition préalable d'un véritable travail critique, apte à se déployer avec efficacité dans le champ social.

Wim Delvoye est né en 1965 à Wervik (Belgique. Il vit et travaille à Londres et à Gand).
La Chambre (2e étage), jusqu'au 27 septembre

 

Helmut Dorner, Polyptique

  Après avoir suivi de 1970 à 1982 l'enseignement de Gerhard Richter à l'Académie de Düsseldorf, Helmut Dorner s'adonne d'abord à la sculpture. L'expérience va se poursuivre pendant trois ans, jusqu'en 1985, et, assez paradoxalement, ses réalisations reposent beaucoup sur des propriétés à première vue picturales : ce sont des formes organiques ou des outils, en plâtre, qui gardent généralement le contact avec le mur et qui cherchent à accrocher la lumière grâce à leurs reliefs. Elles sont d'ailleurs présentées au sein d'expositions collectives qui dénotent bien leur contexte de réception : Triumph - Skulpturen von Malern (à la Galerie Ricke, à Cologne, en 1982) et Skulptur und Farbe (à la Gesellschaft für aktuelle Kunst, à Brême, en 1983). À partir de 1987, Dorner commence à exposer des peintures qui se distinguent, bien qu'il faille se garder d'inventer ici une continuité infondée, par leurs propriétés sculpturales : les châssis sont généralement massifs et se détachent abruptement du mur; de même, les effets de matière relèvent plus de l'ordre du tactile que de l'optique. Ce seul trait suffirait à montrer en quoi la peinture de Dorner se démarque d'une logique formaliste, mais Dorner ne s'en tient pas là : au lieu de se soumettre à un processus de réduction qui a pour objectif de renforcer l'homogénéité du champ pictural, du tableau, il multiplie les accidents, les dissonances, il accuse les traces d'hétérogénéité – tout en ne sortant pas d'un registre de matériaux et d'opérations en fait assez restreint. Il le fait en utilisant deux techniques - la laque et l'huile - qu'il combine d'ailleurs souvent à l'intérieur d'une même composition, en diversifiant les formats, en exploitant des textures disparates qui opposent le diaphane et le brillant à des enchevêtrements extrêmement denses et mats; ou encore, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes pour une peinture abstraite, en convoquant des références divergentes : tandis que les huiles tendent vers un expressionnisme très appuyé, les laques, avec leurs motifs répétitifs et leurs arabesques, semblent (délibéremment) se prêter à une dérive décorative frappée de mélancolie, comme un langage dont les articulations et les significations se disloqueraient en ne laissant émerger qu'un ordre fragmentaire, définitivement silencieux, inaccessible.

Helmut Dorner est né en 1952 à Gengenbach/Baden. Il vit et travaille à Düsseldorf.

  2 ou 3 choses que je sais d’elle (incidente 4)
Cabinet des abstraits (1 er étage), jusqu'au 4 octobre

 

Gotscho, La Nuit, l'oubli, 1992

  Le travail de Gotscho a trait au luxe. Depuis le début des années 90, il manipule des vêtements de grands couturiers, des tissus précieux, du mobilier ancien qu'il insère dans des dispositifs extrêmement spectaculaires dont la puissance tient moins de l'artifice et des fastes qu'ils déploient que de la simplicité et de l'efficacité visuelles et tactiles des matériaux qu'ils mettent en œuvre. Pour The Last Store, il reprend une pièce de 1992, intitulée Meeting. Elle est constituée de trente vestes, toutes suspendues à des crochets. Quelle que soit la couleur de l'habit, la doublure décousue est d'un jaune éclatant et pend – comme la peau des écorchés dans certaines représentations maniéristes ou baroques. En évoquant ces représentations et frayant avec d'autres références parmi lesquelles pourraient être citées les analyses de Clérambaut sur la passion des étoffes, l'œuvre s'ouvre à un champ de significations où les images de la mort et du désir se croisent dans un érotisme froid, exacerbé et violent.

Gotscho est né en 1945. Il vit et travaille à Paris. Son travail est également présenté dans le cadre de l'hommage au collectionneur Gilles Dusein – La Nuit, l'oubli.
The Last Store (2e étage), jusqu'au 11 octobre

 

Pierre Keller, Recorded Earlier, 1977-1997

  Les polaroïds que Pierre Keller présente sous le titre de Recorded Earlier ont été réalisés à partir de 1977. Comme c'est souvent le cas devant des images où le désir s'exprime violemment, la provocation semble devoir suspendre toute interprétation. Comme dans un prolongement en acte de la pensée de Bataille, tout ici apparaît conçu pour provoquer une faille de la conscience, une déchirure dans la manière dont le sujet se constitue face au monde. Au point que le seul point focal auquel le spectateur puisse les assigner serait celui du scandale. Scandale de l'étalage impudique de l'intime. Scandale de l'obscène, des corps saisis dans l'unique optique du désir ou dans l'acte sexuel, sans autre alibi que d'être vus comme tels. Scandale de ces situations dans lesquelles le photographe se borne (volontairement, et, peut-on le dire sans vergogne), à ne reproduire qu'une position – celle du maître – tandis que les partenaires se voient réduits à n'être que des objets dans le regard du voyeur. Scandale d'une technique photographique elle-même spoliée et aliénée par la frénésie à vouloir l'inscrire dans l'immédiateté du désir. Mais c'est peut-être oublier un peu vite que si ces images se veulent d'une certaie manière irrécupérable esthétiquement, c'est aussi qu'elles trouvent leur finalité dans ce qui fut une des caractéristiques les plus typiques de l'esthétique avant-gardiste : la transgression.

Le bleu qui a été choisi pour la salle dans laquelle ces polaroïds ont été accrochés est un bleu d' “incrustation”. Il est utilisé sur les plateaux de télévision pour découper les figures des intervenants sur un fond imaginaire. Il pourrait bien symboliser ici le fond sur lequel se projette le fantasme.

Pierre Keller est né en 1945 à Gilly. Il vit et travaille à Grandvaux.
Tombeau de l'auteur (1 er étage), jusqu'au 4 octobre

 

Julije Knifer, Peinture murale – 1998

Les premières figures de méandres apparaissent dans l'œuvre de Julije Knifer en 1960. À cette époque, l'artiste participe à Zagreb aux activités du groupe Gorgona – un mouvement d'inspiration néo-dadaïste dont il était un des membres fondateurs. Bien qu'il n'ait duré que quelques années (1959-1966), l'esprit de ce mouvement est caractéristique de ces rencontres paradoxales qui se produisent à la fin des années 50 quand l'esprit du dadaïsme fait sa réapparition pour bouleverser les catégories esthétiques de l'après-guerre. Et il a profondément marqué Knifer, comme en témoigne par exemple sa volonté de considérer son travail non comme un procédé formaliste, mais comme ce qu'il appelle “la forme unique de ma liberté”. Non comme “une décoration, un ornement, ou une esthétique”, mais à la base comme une “anti-peinture”.

Si d'un point de vue théorique son utilisation répétitive du méandre semble récuser toute idée d'évolution dans son œuvre, il est évident d'un point de vue formel que son inscription dans l'espace de la peinture ne peut être lue en dehors de tout contexte historique – ce qui ne signifie évidemment pas que son travail soit réductible à ce contexte, qu'il en soit le symptôme, mais au contraire qu'il se redéfinisse constamment au sein d'une histoire de l'abstraction dont il est de ce fait un des acteurs essentiels. Knifer instaure ainsi une dialectique entre, d'une part, ses prises de position initales – une palette réduite au noir de sorte que le méandre n'apparaît qu'en négatif, en réserve; la place décisive accordée au procès lui-même dans des opérations de recouvrement qui peuvent durer des années comme le rappellent bien certains dessins où Knifer a consigné les dates de ses interventions; la décision de n'utiliser que “des moyens minimaux, des contrastes extrêmes, un rythme monotone” parce qu'il considère “la monotonie comme le rythme le plus simple et le plus expressif” – et, d'autre part, une conscience très articulée de leur valeur historique.

Ainsi dans ses premiers dessins et ses premières toiles, les méandres frayent avec un ordre très proche formellement des formes rationnelles de l'art concret. Mais, rapidement, il opte aussi pour des types de composition qui s'inscrivent toujours dans un héritage européen – Malévitch occupe une place privilégiée dans la pensée de Knifer – mais dont la radicalité fait qu'ils peuvent être comparés aux meilleures réalisations du Hard Edge américain et de peintres comme Noland (même s'il s'agit jusqu'en 1979 de formats plutôt restreints). Autre trait saillant : au tournant des années 60, Knifer travaille à résoudre différemment le rapport figure/fond en insistant sur les répétitions ; il se revendique alors d'une approche systématique de l'art qui présente des analogies avec celle préconisée par certains artistes conceptuels. Plus tard, à la fin des années 80, le méandre, tout en continuant à se développer à travers de multiples variations qui explorent tous les registres matériels de l'œuvre (format, matériau, composition), s'étend au mur. C'est le cas de l'œuvre réalisée par Knifer au Mamco. En s'articulant au mur, le méandre déconstruit et rejoue constamment la dynamique à laquelle il doit sa continuité dans l'espace. Dans un cas, l'idée de continuité est assurée par le déplacement de la figure; dans l'autre, elle est dramatisée par un renversement dans l'espace. Deux solutions qui suffisent à traduire le jeu infini de répétition et de différence où Knifer identifie une forme de la liberté.

Julije Knifer est né en 1924, à Osijek (Croatie). Il vit et travaille à Paris et Zagreb.

 

2 ou 3 choses que je sais d’elle (incidente 3)
Vestibule (1 er étage), jusqu'au 4 octobre

 

Kane Kwei et Samuel Kane Kwei, Sculptures, 1993-1997

 Poursuivant, grâce à la collaboration d'André Magnin et de la collection Pigozzi, le parcours qu'il a commencé avec Cheik Ledi, Bodys Isek Kingelez, Cheri Samba et Émile Guebehi, le Mamco présente aujourd'hui le travail de Kane Kwei et de son fils Samuel Kane Kwei.

L'œuvre de Kane Kwei témoigne à la fois des difficultés à cerner une notion d'art africain, et par répercussion, de la relativité des catégories occidentales qui tentent de définir l'œuvre d'art à partir de son autonomie, ce qui a pour effet de la soustraire à toute fonction utilitaire et de ne lui reconnaître d'autre finalité que celle qu'elle se donne à l'intérieur du champ artistique. Ébéniste, Kane Kwei doit sa célébrité à la fabrication de cercueils de bois peint, luxuriants, qui lui étaient commandés par des particuliers. Et le vocabulaire figuratif qu'il déployait n'était pas non plus gratuit : qu'il s'agisse d'une voiture, d'un oignon, d'un poisson ou d'une tortue, chaque forme était conçue pour représenter un trait spécifique de la personnalité ou de l'activité du défunt, ou encore un événement marquant de sa vie. Parallèlement, Kane Kwei mettait autant de soin et d'imagination à créer des meubles ou des objets - notamment des sièges, dont Jean-Hubert Martin, qui l'a présenté dans les Magiciens de la terre, précise qu'ils sont dans la culture Ashanti un des symboles du pouvoir politique. L'œuvre de Kane Kwei se caractérise aussi par un trait qui se retrouve régulièrement chez les créateurs africains et qui présente des analogies avec les pratiques artistiques occidentales pré-modernes (soit antérieures à la fixation de la créativité sur le concept de l'individu). Pour répondre à la demande, Kane Kwei avait en effet constitué un atelier où travaillaient plusieurs assistants; et, à son décès, son fils a repris la production en perpétuant ce qui faisait l'essentiel de son style, de sa marque de fabrique. Auteur de toutes les pièces présentées dans l'exposition, Samuel Kane Kwei a cependant introduit une innovation dans la pratique initiée par son père : certaines de ses pièces – telle le rabot, le filet de pêcheur, l'avion de ligne ou le moteur de hors-bord – ne sont pas des cercueils. Elle sortent donc du régime fonctionnel dans lequel elles étaient inscrites à l'origine, et se rapprochent du même coup des conventions qui règlent l'appréhension de l'œuvre d'art dans les sociétés occidentales. Celui dans lequel elles sont aujourd'hui visibles. Mais loin d'y voir une simple soumission à ces règles, le spectateur devrait se méfier : il pourrait s'agir de ce que Homi Bhaba, dans ses analyses des comportements sous le colonialisme, désigne du terme de “mimétisme” (mimicry), soit une pratique culturelle dominée qui assimile superficiellement les apparences de la culture dominante pour la subvertir par en-dessous, et tenter ainsi de perpétuer ses propres formes et ses propres enjeux.

Kane Kwei, né en 1924 à Teshie, Ghana, est décédé en 1991 à Teshie. Samuel Kane Kwei est né en 1954 à Teshie. Il vit et travaille à Teshie.

En collaboration avec la C.A.A.C., The Piggozi Collection, Genève.
Büro Kippenberger (2e étage), jusqu'au 11 octobre

 

Robert Morris Open-Center-Sculptures & Crucibles, 1997

  L'installation que Robert Morris a spécialement conçue pour le "Plateau des sculptures" se compose de quatre Open Center Sculptures  et de Untitled (I-Beams) qui était précédemment exposée dans le loft Don Judd. Toutes ces sculptures sont récentes : les premières ont été réalisées l'année passée pour une exposition organisée par Pietro Sparta dans sa galerie à Chagny; la cinquième le fut pour une exposition à la galerie Daniel Templon à Paris en 1988. Mais leur conception remonte à une période bien antérieure, aux années 1967-69. Untitled - I-Beams est d'ailleurs la réplique littérale d'une pièce de 67 qui portait le même titre, mais qui était en aluminium. Morris commence alors à travailler à la déconstruction du Minimal art dont il avait été un des premiers et des principaux protagonistes. Ainsi, si la sculpture suspendue dans l'espace fait irrémédiablement penser à Cloud – une œuvre de 1962 – elle s'en distingue aussi radicalement dans la mesure où au lieu d'être constituée de contreplaqué peint en gris clair, elle est faite de poutres d'aluminium brut. Cette différence est en tous cas aussi prégnante que peut l'être le travail de réinterprétation formelle que Morris produit à partir de Cloud en instaurant un vide au centre d'une construction qui n'était originellement qu'une masse lisse et pleine, impénétrable. Le rapport au matériau entraîne en effet une toute autre relation du spectateur à l'objet, et de l'objet à son environnement. À l'idéalisme des premières œuvres minimalistes, neutres, compactes et unitaires, se substitue ici une présence matérielle qui ne renie rien de son origine industrielle, ni de son traitement (les boulons sont parfaitement visibles). Au contraire de Cloud dont l'apparence et le mode de fabrication ne venaient en aucun cas troubler la suspension dans l'espace, cette Open Center Sculpture témoigne violemment de ses conditions d'existence : la spéculation improbable sur la masse de Cloud est remplacée ici par un rapport beaucoup plus dur défini par le poids du métal, sa surface froide, ses arêtes franches, et plus généralement, par le fait que toutes les procédures propres à la configuration de la pièce sont non seulement parfaitement visibles, mais comptent aussi dans son esthétique (c'est ce que montrent, par exemple, les câbles dont la section est plus importante que ne le requerrait le poids réel de la pièce). Sans être peut-être aussi démonstratives, les autres Open Center Sculptures participent d'une même réflexion sur le dépassement du Minimalisme. En optant pour des volumes ouverts, pour des matériaux industriels bruts et pour des articulations visibles, Morris ouvre une voie qui n'est déjà plus celle du Minimalisme stricto sensu. Et si le rapport au corps reste déterminant, il est conditionné dans ces sculptures par l'apparition d'une attention au procès de réalisation, qui va s'avérer décisive dans le concept d'“anti-forme” auquel Morris commence alors à travailler. La figure du labyrinthe qui est évoquée dans l'une d'entre elles montre par ailleurs que sa conception du sujet s'éloigne de l'entité purement phénoménologique qu'entendait véhiculer le Minimalisme. Chez Morris, cette prise de distance doit d'autant plus être prise en compte que contrairement à un artiste tel que Donald Judd, son travail a depuis lors subi des mutations radicales. Aujourd'hui, les Open Center Sculptures coexistent en effet avec des travaux figuratifs qui touchent à la violence de la société industrielle, à l'entropie de l'imaginaire dans la civilisation occidentale et à l'aliénation de l'individu. S'il n'est pas possible de projeter directement de telles significations sur ces sculptures, il est en revanche difficile de supposer que pour Morris elles n'aient aucune répercussion sur leur réception.

Les deux Crucibles (creusets) qui complètent cette installation témoignent des mutations que Morris n'a cessé d'introduire dans son travail depuis les années 70. Produits par le CIRVA (Centre International de Recherche sur le Verre à Marseille), ces creusets de terre cuite sont remplis d'une masse de verre insondable, comparable à de la glace qui se serait rompue sous l'effet de pressions indéterminables. Les éclats et les failles qui parcourent cette masse cristalline bleuâtre donnent la sensation d'un abîme. Le spectateur y plonge son regard sans espoir d'en atteindre le fond. Paradoxalement, il fait avec ces creusets l'expérience d'une perte comparable à celle des miroirs qu'il avait utilisés dès 1965 (Mirrored Cubes) : la forme – la Gestalt – se dissout en problématisant du même coup l'identité même du sujet qui regarde.

Robert Morris est né 1931 à Kansas City, Missouri, USA. Il vit et travaille à New York.
En collaboration avec la Galerie Pietro Sparta, Chagny, France.
Plateau des sculptures et Service Poésie et principes (3 e étage), jusqu'au 23 décembre

 

  Alexandre Perigot, Partie gratuite, 1996

  Avec Réanimations, en 1993, Alexandre Perigot proposait une sorte de typologie de modes d'emploi. Sur sept planches sérigraphiques et sur vidéo, il reproduisait des énoncés et des schémas graphiques expliquant l'utilisation de différents produits industriels : la manière de mettre un préservatif ou d'introduire un tampon hygiénique, de remplacer une cartouche d'encre pour machine à écrire, d'enclencher un film Polaroïd, de boucler une ceinture de sécurité, d'introduire un détachant dans une machine à laver le linge ou de manipuler un spray nasal y était exposés en dehors de tout contexte et hors de tout rapport de causalité. Les ruptures que Perigot créait en déplaçant les images et en subvertissant l'ordre des séquences n'avait pas seulement pour effet de suspendre le mythe d'une fonctionnalité capable de rationaliser tout l'espace social. Par le biais de cette systématicité brisée, il introduisait le doute dans l'éventail d'interactions qui nous relie au monde. Avec Partie gratuite, Perigot produit une situation analogue : reprenant une idée qu'il avait déjà formulée dans Recto Verso, il propose au spectateur de participer à une action dont il ne verra pas le résultat. Mais au lieu d'étendre le papier carbone sur le sol de sorte qu'il soit simplement foulé au pied par le visiteur qui laissera ainsi une trace qu'il ne verra jamais, il en tapisse les murs d'un espace clos – la Chambre des dessins, reconstruite pour l'occasion dans l'Espace commun – et il l'invite à utiliser un ballon comme moyen d'impression. Les murs maculés par chaque rebond, par chaque tir, resteront invisibles. Le spectateur devra donc se contenter de concevoir l'effet de son geste, et du même coup, c'est tout un rapport de causalité qui est projeté dans l'invérifiable, qui devient sujet à spéculation. Avec ce "blind drawing", Perigot ne s'intéresse pas seulement avec humour à la notion de dessin, il met le visiteur en condition de s'interroger sur les raisons, les intentions et les fins – gratuites ou non : le titre de la pièce est un tiroir à double fond – qui détermine son rapport au monde. En cette période de fusion collective, dans le spectaculaire qu'est la Coupe du monde de football, la présentation d'une telle pièce s'avérait à plus d'un titre nécessaire, voire salutaire.

Alexandre Perigot est né en 1959 à Paris. Il vit et travaille à Bastia et Kyoto.
Chambre des dessins (espace commun du BAC), jusqu'au 19 juillet

 

Stephen Prina, Monochrome Painting, 1989

Réalisé en 1988-1989, Monochrome Painting est composé de 14 tableaux reproduisant à l’échelle 1/1 autant de “stations” de l’histoire du monochrome – de Malévitch à Palermo. Les tableaux, de toile marouflée sur panneau de bois, sont tous peints de façon uniforme et presque quelconque dans le même vert métallisé (Delstar©, Acrylic Enamel, VW 1985, LB6V, #

45893, Papyrus Green Poly), et sont accrochés dans l’ordre chronologique de réalisation des modèles originaux. Chaque toile est accompagnée d’un cartel en plexiglas indiquant le numéro qui lui est assigné (de I à XIV), le titre de l’œuvre originale, le nom de son auteur, la date de sa réalisation et l’institution qui l’abrite. L’ensemble est complété d’une peinture murale rappelant le titre de l’oeuvre (Monochrome Painting), et d’une vitrine à l’intérieur de laquelle sont rassemblés le carton d’invitation à la première exposition (à la Renaissance Society, à Chicago, en 1989), son affiche et son catalogue. Outre qu’il comprend notamment une bibliographie et une reproduction d’une vue d’ensemble de l’exposition des Black Paintings de Reinhardt au Jewish Museum à New York en 1966, le catalogue récapitule sous forme cette fois de placard noir les différentes “stations” de ce chemin de croix.

Comme la plupart des pièces qu’il réalisera par la suite – citons seulement Exquisite Corpse : The Complete Painting of Manet commencé en 1990, ou Galerie Max Hetzler en 1991 – Monochrome Painting relève d’un travail complexe sur l’histoire et le contexte de réception de l’œuvre d’art. Son approche s’avère à bien des titres ambivalente : dans la lignée de la pensée post-structuraliste, elle fait apparaître la culture (dont l’œuvre d’art est un fragment) comme une trame extrêmement dense d’interrelations, de rapports de dépendance. D’où la prolifération de signes que Prina amène au premier plan comme s’il s’agissait de montrer que chacune de ces “stations” est enfermée dans un réseau que toutes, considérées isolément, s’efforcent de nier. Non parce qu’elles n’ont pas conscience de l’histoire dans laquelle elles s’insèrent et sans laquelle elles n’auraient pas de sens, mais parce que cette histoire et ce réseau menacent à la fois le regard singulier qu’elles semblent exiger et la conception héroïque sur laquelle elles s’appuient. En fait, Prina, en faisant ressurgir le dispositif propre à la réception des œuvres et à la muséographie, désigne les conditions qui déterminent cette conception de l’histoire. En 1991, il reprendra d’ailleurs comme titre d’une autre de ses pièces touchant à l’histoire du monochrome une affirmation célèbre de Barnett Newman lui-même : “L’histoire de la peinture moderne, pour la résumer en une phrase, est celle d’une lutte contre le catalogue”.

Si l’approche de Prina est ambivalente, ce n’est pas seulement parce qu’elle trouble l’image de cette histoire héroïque – et même religieuse, dans la mesure où son installation fait ouvertement référence aux Stations de la Croix de Newman – ou parce qu’elle fait le deuil de ce qui chez Reinhardt lui apparaît encore frappé du sceau de l’ “incommensurable”. C’est parce qu’en procédant de manière aussi minutieuse à l’“enregistrement concret d’un processus d’abstraction”, il fouille jusqu’à l’absurde le dispositif fétichiste de l’art contemporain. Comme beaucoup de ses collègues passés par Cal Arts (John Miller, Mike Kelley, etc.), il atteint alors un point où ce dispositif se révèle comme un monument susceptible à tout moment de verser dans le grotesque. Réalisées par un peintre en carrosserie, les toiles qui composent Monochrome Painting évoquent – à l’instar de certaines œuvres d’artistes du sud de la Californie des années soixante – la culture omniprésente de l’automobile propre à Los Angeles.

Stephen Prina est né en 1954 à Galesburg (Ill., USA). Il vit et travaille à Los Angeles

 2 ou 3 choses que je sais d’elle (incidente 5)
Suite genevoise (1er étage), jusqu’au 4 octobre

 

 

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